Restauration d’une guitare de Domingo Esteso, Madrid 1926
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Cette guitare, décrite et photographiée dans le numéro 38 d’août-octobre 2007 de "Guitare classique", a été l’objet d’une importante et périlleuse restauration. Le chroniqueur, Bruno Marlat, ayant omis d’en parler nous avons eu envie de raconter ici la stratégie de cette restauration La plus grande difficulté en ce qui concerne la restauration des guitares espagnoles est l’ouverture de l’instrument. En effet, les nombreux taquets qui forment la contre-éclisse du fond supportent assez mal le défondage (ouverture par le fond) et il est quasiment impossible de décoller proprement le volumineux tasseau du fond sans prendre de risques considérables pour le dos de l’instrument. Le bois de cyprès est, indépendamment de ses qualités acoustiques, un bois cassant, résistant mal aux chocs. Après avoir déposé le filet du dos que nous gardons en forme pour pouvoir le recoller ensuite, et après avoir décollé aussi précisément que possible le dos des éclisses, puis le tasseau du bas et les barres de leurs enclavements, nous fendons le fort tasseau du haut dans son fil, ou quand ce n’est pas possible, nous le scions avec une scie japonaise. Le trait de ce type de scie est de 1,5/10è de mm, et ne perd donc pour ainsi dire pas de matière. Ceci permet de dégager le fond sans risques. Une fois le fond désolidarisé de la guitare, nous pouvons de l’intérieur décoller la partie du tasseau restée sur le dos et la recoller immédiatement sur l’autre partie restée sur la caisse, puis cheviller l’ensemble, ce qui rend au tasseau ses qualités mécaniques et son volume initial. La restauration du dos ne présente pas de difficultés majeures : après avoir nettoyé les cassures et les anciennes traces de colle, nous les recollons, y apposons de petits taquets. Les couvre-joints sont recollés ou remplacés lorsqu’ils ne sont plus sauvables. Pour la restauration de la table, la stratégie est un peu plus compliquée : avant de recoller quoique se soit, il faut effacer les déformations de la table. Nous fabriquons un moule ; dans le cas d’une guitare espagnole, c’est une cale découpée aux mesures de la table, dans laquelle nous avons pris soin de laisser en réserve l’emplacement de la touche. Nous ajoutons un papier sulfurisé pour éviter que des traces de colles malvenues ne marquent le vernis durant le travail. Ensuite nous relevons le tracé des barres et fabriquons des cales de la forme des espaces libres entre celles-ci. Après avoir nettoyé les cassures et ôté la pièce apocryphe sous la bouche, nous "calons" la table sur son moule et recollons les barres. Nous laisserons la table ainsi maintenue plusieurs jours. Une fois la table reformée, nous collons de forts taquets de part et d’autre de la bouche, pour maintenir le manche-touche dans une position correcte et prévenir un nouvel enfoncement , et posons sur les cassures nettoyées et recollées de fins taquets qui n’entraveront pas les vibrations. Nous posons une nouvelle petite pièce d’épicéa pour reboucher le trou de la table dans un bois plus en rapport avec celui choisi à l’origine par le luthier, et à la demande du client, posons deux placages de citronnier sur la table pour protéger la zone plus fragile attaquée par le jeu des doigts. Ensuite après avoir vérifié chaque taquet des contre-éclisses et remplacé sur leurs marques ceux qui ont été endommagés lors du défondage (c’est inévitable), nous préparons l’instrument au refondage. C’est une étape délicate car la justesse de l’instrument en dépend. Nous "bloquons" la guitare dans sa position optimum par une cale qui empêche l’instrument de bouger et préserve ainsi sa surface de jeu, sa "jouabilité". Une fois l’instrument positionné et maintenu, nous recollons le fond à sa place, puis dans un deuxième temps le filet du dos qui retrouve sa ragreyure. Un nouveau nettoyage est nécessaire avant de pouvoir passer aux raccords de vernis et aux patines qui doivent atténuer autant que faire ce peut la lisibilité de notre travail. En effet si la rémissibilité de toute restauration est recommandée, dans la mesure du possible, la discrétion doit caractériser le travail du restaurateur qui doit s’effacer devant l’auteur qu’il sert. Le terme "restauration invisible" étant souvent une fanfaronnade, un fantasme de conservateur, le plus discret possible reste la règle à suivre pour rendre à un instrument non seulement son aspect original, mais également sa fonction et sa personnalité propre.
Nous sommes désolés que les photos de ce travail ne soient pas à la hauteur de la guitare qu’elles montrent. Ce ne sont que des photos d’atelier, prises rapidement il y a plus de quinze ans, comme autant de notes pour nous souvenir des infos contenues dans les guitares, des barrages de chaque auteur, de leurs montages et de leurs petites particularités, mais aussi pour noter les stratégies de restauration que nous avons employées dans chaque cas. Une autre très belle Domingo Esteso à caise en palissandre restaurée en 2005. |